LA « TVA SOCIALE » : UNE IDÉE INTÉRESSANTE, SI SON APPLICATION N’EST PAS TIMORÉE…
Le « pacte de compétitivité » présenté, il y a peu, par le premier ministre repose essentiellement, comme on le sait, sur deux séries de mesures :
-un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros en faveur des entreprises, dont l’effet sur le budget de l’Etat ne se fera sentir qu’en 2014, les entreprises n’en bénéficiant effectivement qu’au titre de l’impôt sur les sociétés de 2013, payé l’année suivante ;
-en contrepartie de la diminution des recettes entraînée par cette mesure, et pour éviter que celle-ci ne vienne aggraver le déficit budgétaire, l’Etat cherchera, d’une part, à diminuer ses dépenses de 10 milliards d’euros, et, d’autre part, à augmenter ses recettes grâce à une augmentation des taux principal et intermédiaire de la TVA (respectivement de 19,6 % et 7 % en l’état actuel).
L’annonce d’une augmentation des taux de TVA a été immédiatement présentée par les partis d’opposition comme un retour à l’idée de TVA sociale défendue par Sarkozy à la fin de son quinquennat, idée repoussée à l’époque par les dirigeants du PS. Et il est vrai que l’on peut, à première vue, déceler une certaine parenté entre les deux mesures, l’une et l’autre ayant en définitive pour objectif de financer une diminution des charges des entreprises par une augmentation des produits résultant de la taxation de la consommation. Ne peut-on déduire de cette convergence de mesures visant à améliorer la compétitivité que, contrairement à ce qu’en avait dit l’opposition à la fin de la présidence de Sarkozy, l’idée de TVA sociale présente un certain intérêt ? Mais quel est-il exactement et comment peut-on le mesurer ? C’est ce que nous allons maintenant examiner.
L’IMPACT RÉEL DE LA TVA SOCIALE SUR LES PRIX À LA CONSOMMATION
Pour procéder à cet examen, nous allons commencer par reprendre un article du Monde daté du 31 janvier (« La TVA sociale est calibrée pour l’industrie, mais ses effets sur l’emploi sont incertains ») et consulté sur Le Monde.fr du 2 février. Cet article rappelle que, lors de son intervention télévisée du 29 janvier, Sarkozy avait « confirmé la hausse du taux normal de TVA de 19,6 % à 21,2 % », décidant de mettre ainsi en place, le 1er octobre, une « TVA sociale » (l’ex-chef de l’Etat récusait ce terme, mais n’en a pas proposé d’autre : nous le conserverons donc ici, d’autant plus que c’est sous cette appellation que la réforme présentée alors est maintenant connue de l’opinion). Cette réforme, continuait Le Monde, consiste à « baisser les charges pesant sur le travail et (à) affecter en contrepartie au financement de la protection sociale une partie de la TVA et de la contribution sociale généralisée (…) sur les revenus financiers ».
Nous ne nous intéresserons pas ici au cas de la contribution sociale généralisée, mais uniquement à celui de la TVA sociale, d’une part parce que celle-ci a donné lieu à un débat animé, d’autre part parce qu’elle seule semble porteuse d’une idée intéressante, comme on le verra plus loin.
En ce qui concerne le débat, on notera que, à l’extérieur de l’UMP, l’ensemble de la classe politique avait réagi de façon très hostile à la réforme présentée par Sarkozy. Le seul candidat potentiel à la Présidentielle à avoir indiqué qu’il y voyait un intérêt avait été Villepin. Tous les autres avaient tiré dessus à boulets rouges, en affirmant que l’application de la TVA sociale allait se traduire par une hausse sensible des prix à la consommation. Avec cette affirmation, ils montraient, soit qu’ils étaient de mauvaise foi (ce qui était probablement le cas de Hollande), soit qu’ils n’avaient rien compris (ce qui était certainement le cas de Marine Le Pen). Car la réforme annoncée ne se serait pas traduite par une hausse notable des prix. Nous allons maintenant expliquer pourquoi.
Prenons l’exemple d’un produit A, qui n’est pas fabriqué dans notre pays parce que son prix de vente y est moins élevé lorsqu’il est fabriqué hors de France. C’est la situation décrite par la première colonne du tableau ci-dessous, celle où la TVA est à 19,6 %. La situation résultant de l’application de la TVA sociale est, quant à elle, résumée dans la seconde colonne, où la TVA a été majorée comme cela était prévu à la fin du mandat de Sarkozy, pour passer à 21,2 %.
Vente en France d’un produit A |
TVA à 19,6 % |
TVA à 21,2 % |
Fabrication en France
Prix de vente unitaire (PVU) : HT TVA TTC
Prix de revient unitaire (PRU) : Financement de la protection sociale Autres éléments du PRU (HT, car L’entreprise récupère la TVA) PRU total
Marge unitaire (calculée sur le HT, puisque l’entreprise reverse la TVA) : PVU.HT - PRU total
Fabrication hors de France
Prix de vente unitaire (PVU) : HT TVA TTC
|
100,00 € 19,60 € 119,60 €
1,32 €
93,68 € 95,00 €
5,00 €
99,16 € 19,44 € 118,60 €
|
98,68 € 20,92 € 119,60 €
0,00 €
93,68 € 93,68 €
5,00 €
99,16 € 21,02 € 120,18 € |
Ce tableau part de l’hypothèse que, avant la hausse de la taxe, il y a un avantage d’un euro en faveur du prix de vente unitaire TTC du produit A fabriqué hors de France. A l’inverse, après la hausse de la taxe et la suppression du financement de la protection sociale dans le prix de revient (ce qui est le point central du dispositif de la TVA sociale), il y a un avantage de 0,58 euro en faveur du prix de vente unitaire du produit fabriqué en France, et ce sans modification de la marge -qui reste inchangée à 5,00 euros par unité du produit considéré- par rapport à la situation toute théorique décrite par la première colonne du tableau (toute théorique, puisqu’il n’y a pas, alors, de fabrication en France et que les chiffres correspondant à une telle fabrication ne sont présentés que pour montrer que celle-ci ne serait pas concurrentielle). Cela signifie que l’entreprise française n’a ici aucun intérêt à augmenter son prix de vente par rapport à la situation théorique de la première colonne, puisque celui-ci lui permet de s’installer sur le marché tout en étant assurée du maintien au niveau souhaité de la marge par unité vendue.
POUR ÊTRE EFFICACE, LA TVA SOCIALE DOIT ÊTRE APPLIQUÉE RÉSOLUMENT
Cet exemple montre de façon claire (mais non éclatante, car la hausse de TVA retenue par Sarkozy était faible, ce sur quoi nous reviendrons) que l’application de la TVA sociale est ici un élément qui favorise la compétitivité de nos produits, évite les délocalisations et favorise donc la réindustrialisation et l’emploi en France, et ce sans risque inflationniste majeur. Car quel est, en effet, l’impact de cette application en termes de hausse des prix à la consommation ? La hausse de TVA est de 1,6 point pour une base de 19,6, soit une augmentation de 8,16 %. La hausse du prix de vente unitaire correspondante est de 1 euro, ce qui, rapporté à une base de 118,60 euros donne une progression de prix de + 0,84 %. N’était-il pas absurde d’attaquer Sarkozy pour une progression aussi dérisoire ? Et ne croit-on pas que les Français seraient prêts à supporter une progression de cet ordre, si c’est le prix à payer pour retrouver emplois et croissance ?
D’ailleurs, il serait tout à fait possible d’atténuer l’effet de cette faible hausse en augmentant en conséquence le montant des revenus minimaux, à commencer par le SMIC (lequel devra, auparavant, avoir été calculé de façon à garantir le financement d’une vie décente pour ceux qui le perçoivent : mais ceci est une autre question, qui ne sera pas traitée ici). On nous rétorquera que cet ajustement du SMIC se traduirait par une réduction de la marge de l’entrepreneur, ce à quoi nous répondrons tout simplement que la marge initiale affichée dans le tableau ci-dessus n’est là que pour information puisque, dans la situation initiale, il n’y a pas, par hypothèse, de production en France. La comparaison est donc entre une absence totale de production -et, par conséquent, de marge- et la possibilité de lancer cette production avec une marge inférieure à une valeur théorique retenue pour caractériser la situation initiale ; à vrai dire, l’entrepreneur ne se déterminera pas par rapport à cette valeur théorique, mais bien par rapport aux possibilités de développement et de rémunération du capital que lui offrira la marge restant après l’incidence de l’ajustement du SMIC : il n’y a aucune raison d’affirmer, a priori, que ces possibilités ne lui paraîtraient pas suffisantes.
Il apparaît, par conséquent, que la TVA sociale peut représenter un excellent instrument de relance, cette relance qui est la première réponse à apporter aux attaques menées par Wall Street contre l’euro, un excellent instrument de relance, donc, dont l’action pourrait compléter celle des fonds mobilisables à la suite d’une dénonciation partielle et parfaitement légitime de la dette (l’alourdissement de celle-ci provient en effet du financement des plans de rétablissement de l’activité économique rendus nécessaire par la crise des subprimes ; il serait donc parfaitement légitime de déduire des sommes dues aux banques américaines au titre de la dette souveraine, d’une part ce qui correspond à l’effet des subprimes et, d’autre part, ce qui correspond au montant des plans de relance mis en œuvre pour combattre cet effet). Mais alors, pourquoi se contenter d’une hausse aussi faible de la TVA que celle qui était annoncée par Sarkozy ? Ce n’était pas une hausse de 1,60 point qu’il fallait envisager, mais une hausse de 10 points, voire plus, tant sont profonds les écarts de prix de revient avec l’extérieur dus aux frais de personnel et aussi, car on n’en parle pas assez, les effets de l’avantage concurrentiel retiré par les pays qui laissent glisser leur monnaie.
En défendant une forte augmentation de taux au titre de la TVA sociale, on aurait par ailleurs provoqué un choc salutaire dans l’opinion, qui aurait obligé les responsables politiques à se pencher sérieusement sur le sujet, au lieu de se réfugier derrière l’argument facile et fallacieux d’une hausse des prix à la consommation. Une fois de plus, Sarkozy a raté l’objectif à atteindre : mal présenté, son projet était d’une application si timorée qu’il ne pouvait apporter grand-chose au plan économique et ne pouvait être compris par l’opinion, faute du débat et de la mobilisation qu’il aurait dû provoquer, un débat et une mobilisation qui restent à mener.
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